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CHRONOPHAGES - Les Donneurs de Temps
14 mai 2012

CHRONOPHAGES - Les Donneurs de Temps - EXTRAIT

"Le premier homme qu’il avait rencontré avait cinquante-deux ans ; il était sec, le visage sévère, et acquiesçait à tout ce que lui dit le professeur. Nerveux, Esperanza s’était cru obligé d’insister sur les effets du don de temps.

- Avez-vous bien compris ce que je viens de vous expliquer ? Nous allons faire un prélèvement qui va vous ralentir à un niveau zéro-sept, soit 7% de rapidité en moins. Cela devrait rester vivable pour assurer la plupart de vos activités, mais vous allez ressentir une nette accélération du contexte temporel autour de vous. Les films à la télévision, la démarche des gens dans la rue, tout va vous sembler d’une rapidité réellement fatigante. Vous allez devoir développer vos réflexes et vous adapter à ce nouveau rythme si vous ne voulez pas trop souffrir de la situation…

- J’ai bien compris.

- De plus, je le regrette profondément, mais nous n’avons à l’heure actuelle aucune structure mise en place pour vous aider à vivre dans votre nouvelle condition. Nous en sommes encore au stade de la recherche…

- D’accord.

Esperanza s’était mordu la langue. Il eût presque préféré que le cobaye prenne peur et renonce à l’expérience. Mais l’homme ne bronchait pas. Il fallut finalement lui donner les contrats qui déchargeaient le laboratoire de toutes ses responsabilités, et il signa tout ce qu’on voulût. Une fois fait, l’expérience put commencer sans autre forme de cérémonie, et l’équipe d’Esperanza commença les préparatifs avec impatience. Mais avant de tourner les talons, il ne put s’empêcher d’enfoncer le clou.

- Vous êtes bien sûr de vouloir faire ça ? C’est irréversible, vous savez. Une transfusion temporelle dans l’autre sens aurait des conséquences très lourdes.

- Allons-y.

- Comment se fait-il que vous soyez près à vous soumettre à un état dont vous êtes même incapable de seulement imaginer les contraintes ?

Le visage de l’homme devint encore plus sévère. Il se redressa sur un coude.

- Je crève sous les dettes. La garde de mes enfants m’a été retirée. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est éponger les dégâts pour ne pas leur laisser mon fardeau en héritage à ma mort. La prime sera un début. Je recommencerai autant de fois qu’il sera nécessaire. Et si je dois finir scotché à un fauteuil en laissant tournoyer le monde autour de moi à une vitesse vertigineuse, c’est égal. Pour l’importance que ça aura.

Esperanza sut alors qu’il y aurait toujours assez de misère dans le monde pour alimenter les besoins en dons de temps. Cette constatation était trop affligeante pour qu’il puisse y réfléchir trop longtemps, et il prit le parti de ne plus y penser. Il se promit seulement de songer aux moyens de rendre la vie moins pénible pour les donneurs – des sortes de maisons de retraite où toutes les vidéos seraient en mode ralenti, où les assistants spécialisés effectueraient des gestes lents et accorderaient du temps aux patients.

Cela ne fut jamais réalisé."

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